2./ Pourquoi abuse-t-on des jugements ?
- Sens et Vie
- Aug 7, 2017
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Updated: Jun 29

Nous avons vu dans la première partie que juger fait partie de la vie de l'intelligence et que cela est nécessaire pour tenter de comprendre le réel, nous positionner face à lui et communiquer les uns avec les autres. Le problème commence lorsque nous sommes persuadés que ce qui est de l'ordre d'un jugement, donc d'une vue essentiellement subjective des choses, correspond parfaitement au réel dans toute sa complexité changeante. Nous allons voir maintenant que cette tendance à abuser de notre raison s'origine d'une façon ou d'une autre dans la peur.
Il est à noter que ma dernière phrase est un jugement! Je ferme les possibles sur le fait unique de l'origine des jugements comme étant la peur. A partir du moment où je l'énonce avec la conscience que c'est ma façon actuelle d'analyser les choses et que je suis prête à une remise en question, j'échappe au risque d'abus. Mais la phrase que je viens d'écrire est encore un jugement: les "si...alors", posent une nécessité qui enferment aussi les possibles. Oui mais, me direz-vous, à un moment donné, ne faut-il pas bien croire en quelque chose ?
Comment concilier l'assertivité et le non jugement? Le savoir et le doute? C'est dans la troisième partie que nous tenterons de répondre à cette question, avant d'énoncer les sortes d'abus de jugements auxquels nous succombons quotidiennement et la façon dont nous pouvons les dépasser. Dans ce présent article, établissons quelques raisons psychologiques qui peuvent entrainer notre mental à abuser des jugements.
Les raisons intellectuelles
L'intelligence, tout d'abords, nous gratifie de la capacité à trouver du sens. En même temps, elle ne nous donne pas la capacité de percer l'entièreté du mystère de la Vie. Cela peut nous mener à des sentiments d'angoisse. Angoisse du chaos, de l'absurde, du vide. Une solution, pour échapper à ce sentiment peu supportable, peut être d'absolutiser des vérités, d'avoir une lecture de pensée du monde rigide et dogmatique, à l'intérieure de laquelle le doute et la remise en question n'a plus sa place.
Nous nous trouvons là alors dans un besoin de sécurité, de contrôle et de protection qui peut nous mener à juger les façons de penser différentes de la nôtre avec méfiance, mépris ou agressivité. Ce sont des dérapages que l'on peut observer dans les religions, surtout lorsqu'elles se laissent aller à l'extrémisme, l'intégrisme ou les déviances sectaires. Selon moi, une spiritualité saine est ouvert au doute, à tout doute. Prétendre que si l'on ne croit pas on risque la damnation est une utilisation de contrôle perverse.
Les raisons relationnelles
Parce que nous sommes des être de relations, nous ne pouvons pas vivre sans elles. Nos vies trouvent leur sens à travers la reconnaissance que l'on reçoit, laquelle est vitale pour le nouveau né. Plus avant, nous avons besoin de nous sentir aimés inconditionnellement pour vivre bien. Or l'amour de nos parents ou éducateurs n'est pas toujours vécu comme tel, et il est fort probable que le lot de l'être humain soit de porter une blessure narcissique plus ou moins grande. L'enfant sur lequel le parent se fâche vivement, se demande s'il est toujours aimé.
N'est-ce pas parce que cet amour inconditionnel fait défaut que nous ne vivons pas toujours tel que nous sommes, mais en fonction de ce que l'on attend de nous? C'est bien pour cette raison que l'on s’essouffle dans une course à la performance et que nos limites sont vues comme un danger potentiel. Afin d'éviter le désagrément de cette peur, une solution consiste à éviter de regarder en face nos limites et, pour être sûr d'y parvenir, de les projeter sur les autres, donc de les juger. Nous soulageons ainsi notre blessure narcissique par une image idéale de nous-même ou de notre groupe d'appartenance, du haut duquel on peut critiquer les autres.
Il est à noter ainsi que, plus on juge les autres, plus c'est le signe que l'on se juge en fait soi-même. Lorsque nous nous acceptons comme limités sans que cela représente un danger pour nous, nous acceptons aussi les autres avec leurs limites. Le danger ici, et donc la peur, réside dans le fait de ne pas être aimé, accepté tel que l'on est. Cette angoisse engendre la déformation d'un jugement moral négatif tel que "c'est mal", en une condamnation de notre personne comme étant pas aimable.
Les raisons émotionnelles
Lorsqu'une expérience provoque en nous des émotions désagréables très fortes (peur, colère, tristesse) et que:
elle se réitère plusieurs fois,
ou de façon particulièrement brutale et inattendue (traumatisante),
ou durant la période d'empreinte (la prime enfance),
ou enfin lors d'une "première fois",
une stratégie adaptative se met en place dans le cerveau afin d'éviter de s'y trouver à nouveau confronté, fut-ce en dépit de ce qui est logique ou raisonnable.
Pour se faire, il y a une abstraction sélective inconsciente qui s'opère et une conclusion qui s'en dégage, visant à donner un sens et un sentiment de contrôle. Cette nouvelle croyance est difficile à déloger. Et plus elle l'est, plus c'est le signe qu'il est question de survie dans l'esprit de la personne qui l'énonce, et qu'il n'est peut-être même pas bon de trop vouloir la questionner. Ainsi des biais d'attribution hostiles, lorsque ce que dis l'autre sera presque automatiquement perçu avec une intention de nous faire du tord.
Pire, lorsqu'une croyance est ancrée profondément, nous allons faire en sorte que le réel vienne la valider, quitte à mettre de côté ou oublier tout ce qui pourrait l'infirmer. On appelle cela les biais de confirmation, lesquels se basent sur des généralisations. Une phrase comportant les mots "jamais" ou "toujours", parle davantage d'une émotion forte que de ce dont elle parle. Et l'inverse est vrai aussi! Une émotion très forte et désagréable peut trouver sa source dans une croyance limitante et bien ancrée. Si l'on me dit que je ne parviendrai pas à réaliser mon projet et que cela me rend épouvantablement triste, c'est un signe que je crois déjà au fond de moi ne pas en être capable.
Conclusion:
Ainsi, c'est moi qui donne à l'autre le pouvoir de son jugement, en fonction de mes croyances personnelles. Une personne assertive aurait moins tendance à juger les autres et se juger elle-même. Si je crois en qui je suis et où je vais, je vais moins me laisser influencer par les jugement de autres, et surtout je vais aussi moins avoir besoin de critiquer les autres pour tenter de me mettre en avant de cette façon détournée. Il y a illusion et perversion, dans le sens basique du terme (inversion), à vouloir s'élever par le moyen du rabaissement des autres.
Les ressources sont à trouver en soi-même et par soi-même, dans le fait de s'aimer tel qu'on est, avec et au-delà de nos limites, avec l'aide de professionnels qui peuvent accompagner dans la guérison des failles narcissiques. Comment parvenir à accepter que nos limites ne soient pas limitantes, mais au contraire promesses d'évolution? Comment concilier affirmation de soi et ouverture aux possibles? Comment entrer dans cette confiance fondamentale en la vie, au-delà de toute peur? Rendez-vous dans les parties 3 et 4, où nous amorcerons des réponses à ces questions de façon plus concrète, par le biais de la posture corporelle et de l'écoute active.




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