Partie 3: Assertivité et non jugement par le corps.
Dans les deux parties précédentes de notre article, nous avons été amenés à devoir lever un paradoxe: notre intelligence nous permet de saisir le sens du réel, en même temps qu'elle nous en donne accès uniquement par le biais de notre subjectivité. Il est dès lors bon à la fois de chercher à savoir et de savoir que nous ne savons pas tout. A la fois de juger, et de rester humble face à nos jugements. Ce paradoxe est flagrant dans le domaine relationnel, où deux subjectivités entrent en jeu. D'où les problèmes de communication.
Il en est de même lorsqu'il s'agit d'éducation: je peux énoncer ma volonté à mon enfant et me rendre compte assez rapidement qu'il ne l'entend pas forcément de la même façon que moi. L'enfant a besoin de se reposer sur un parent qui "sait" ce qui est bon ou non pour lui, un parent assertif et sûr de lui. Et en même temps, il a besoin d'être respecté dans son propre vouloir, et aussi d'apprendre que tout un chacun, adulte compris, est à même de se tromper. Autrement dit, être assertif ne consiste pas à écraser l'autre. De même que savoir se remettre en question ne doit pas nous mener à nous perdre nous-même.
Nous avons vu dans la deuxième parte de l'article que l'abus que nous faisons des jugements provient de la peur. Nous figeons la réalité, ou telle personne, ou nous-même, dans un jugement, lorsque nous voulons contrôler, nous rassurer, saisir, ne pas trop évoluer, ne pas lâcher prise, de crainte de perdre nos repères fragiles. On pourrait modifier ici l'adage d'Aristote en affirmant: "dis-moi qu'est-ce que tu juges, et je te dirai quelles sont tes peurs". Souvent, je critique d'autant plus ceci ou cela que j'en ai besoin et que je me l'interdis pour ne pas trop devoir évoluer. Par exemple, je juge que telle mère néglige ses enfants, alors que je rêve de me donner aussi la permission de prendre du temps pour moi.
Ainsi, abuser des jugements, ou donner aux autres le pouvoir de leurs jugements sur nous, consiste en une emprise sur la réalité ou les personnes, et d'une façon ou d'une autre, en un déni. La liberté intérieure se trouverait dans un équilibre entre l'assertivité et la nuance, le savoir et le doute, l'affirmation et l'ouverture d'esprit. Notre posture corporelle peut nous en dire long notre positionnement face à cet équilibre. En effet, le corps est à la fois souple et rigide, en mouvement et posé, fermé et ouvert. Il est comme cette frontière entre moi et les autres, fait à la fois pour se donner et pour me protéger, pour la douceur et la force. Il résout ce paradoxe entre la souplesse et l'ancrage, ou bien il me crie justement que l'équilibre n'est pas trouvé, à travers la douleur.
La sagesse chinoise a cette finesse inouïe de perception de la vie comme une harmonie sans cesse à trouver entre le Yin et le Yang, deux pôles opposés mais qui s'attirent, se complètent et s'équilibrent en vivant ensembles. A tel point que tout problème de vie peut être compris d'une façon ou d'une autre à travers un déséquilibre entre le Yin et le Yang. Les arts martiaux nous enseignent que la souplesse trouve son origine dans un bon ancrage et que l'ancrage est efficace lorsqu'il est souple. Je peux juger, ne pas me figer dessus mais prendre conscience de l'origine de mon jugement et de ce qu'il m'apprends sur moi-même, et rester ainsi souple par rapport à lui.
Socrate, philosophe de l'antiquité, affirmait au terme de sa vie durant laquelle il avait cherché avec ardeur la vérité: "la seule chose que je sais (Yang) est que je ne sais rien (Yin)". Dit d'une autre manière, je deviens sage, lorsque je me permet de juger (Yang) en sachant que je ne fais que juger et en restant donc ouvert à la remise en question (Yin). J'ai raison de juger, dans la mesure où penser c'est juger (cf. parti 1) et j'ai encore plus raison de croire que le réel dépasse la pensée que je m'en fait, et de m'en réjouir, car alors je n'ai jamais fini d'évoluer! Si je refuse de ne pas savoir, alors j'ai bien peu d'ambition et de marge de manœuvre pour mûrir.
Corporellement, nous sommes dans ce qu'on pourrait appeler l'énergie du bassin, face à celle du cœur. Le bassin est le lieu de mon ancrage: j'ai ma place, je sais ce qui est juste et bon pour moi. Si vous le souhaitez, mettez vous debout et expérimentez le fait de pouvoir vous poser sur votre bassin comme sur un troisième pied du tabouret pour être bien stable, enraciné sur cette terre, les genoux légèrement fléchis. Visualisez les racines qui vous tiennent solidement à cette place unique qui est la vôtre et que personne, jamais, ne prendra, parce qu'il n'y a que vous qui êtes vous! Ainsi vous pouvez vous tenir droit comme un tronc, dans la conscience de votre dignité. Si cette position vous fait un bien fou, ne vous privez pas de l'essayer régulièrement jusqu'à ce qu'elle fasse davantage partie de votre façon d'être.
Le cœur, quant à lui, est dans l'énergie de l'ouverture. Ressentez ce que cela vous procure d'ouvrir votre torse, vos bras et vos mains. Si le peur d'offrir ainsi votre vulnérabilité au monde vous vient, visualisez une bulle de lumière protectrice autour de vous, ou carrément un bouclier entourant votre cœur et recommencez l'exercice jusqu'à ce que la peur s'atténue. Personne ne peut attenter à votre cœur profond, ressource de vie inépuisable, lieu sacré entre tous. En ouvrant votre cœur sans peur, vous constatez que vous vous tenez tout aussi droit, dans la conscience de votre dignité. Autrement dit, parvenir à prendre sa place et parvenir à s'ouvrir à l'autre puisent à la même source: l'amour inconditionnel qui nous donne la certitude de notre dignité absolue.
Cet équilibre entre ancrage et ouverture mène à l'harmonie: je ne me sens pas menacé par la place que prend l'autre, je ne me laisse pas envahir par elle, et en même temps je prend ma juste place sans envahir l'autre. Cela se traduit concrètement par le fait de pouvoir refuser une demande sans se sentir coupable, et de pouvoir essuyer un refus sans se sentir rejeté. C'est ce qu'on appelle l'assertivité. Exercez-vous à dire "non" très simplement et en toute confiance quant à vos droits, ainsi qu'à accepter avec joie des refus parce que l'autre est tout aussi libre que vous!
De la même façon, je peux avoir de l'autorité face à l'autre, tout en le respectant profondément, ce qui ne donnera que plus de poids à mon autorité. Je peux être dans ma puissance de vie, tout en étant dans la douceur. La véritable puissance n'est-ce pas celle de la douceur, et la douceur n'est-elle pas ce qu'il y a de plus puissant? Je peux être assertif tout en restant humble, me donner tout en accueillant l'autre, protéger mes frontières tout en sachant m'ouvrir, etc...
Chaque pôle trouve toute sa raison d'être en étant contrebalancé par l'autre. Ainsi en est-il de l'amour. Il est force et vulnérabilité tout à la fois. On pourrait dire que c'est parce que nous sommes fait pour l'Amour que nous avons un corps, capable à la fois d'être frontière et ouverture, don et réception, protection et tendresse, afin que nous soyons "un" avec un autre. Il n'y a pas d'unité s'il y a fusion, ou indifférence. L'unité suppose à la fois la différence, chacun étant le plus soi-même possible, en toute autonomie, et la relation profonde, en raison de l’accueil de cette différence, de l'autre tel qu'il est, de son autonomie et son chemin de vie.
A l'inverse de l'amour, ou plutôt lorsqu'il est absent, s’immisce la peur. Et la peur nous fait fuir dans un extrême et perdre la position d'équilibre. La personne qui a peur de sa vulnérabilité parce qu'elle a représenté un danger pour elle, pourrait mettre trop d'énergie dans le bassin, se rigidifier dans son assertivité, et finir par écraser l'autre, en le jugeant par exemple. A l'inverse, si j'ai vécu la force de façon abusive, je vais fuir cette image-là en étant trop doux et laisser les autres m'écraser, ce qui me fait aussi tomber dans ma peur: je donne alors aux autres le pouvoir abusif de me juger, parce que je me juge en fait moi-même.
L'amour résout les paradoxes qui nous habitent en les dépassant. Nous sommes à la fois fermeture et ouverture parce que nous sommes à la fois faits pour devenir nous-mêmes (ancrage), et faits pour aimer l'autre pour lui-même (ouverture). Les deux vont ensemble. A l'inverse, si je n'ai pas un bon ancrage, si je n'ai pas profondément conscience de ma dignité, et donc si je ne puise pas assez en moi-même la source de qui je suis, je risque d'être dans la dépendance affective.
Plus il y a dépendance, plus il y a jugements, car j'attends alors de l'autre qu'il comble mes besoins et ne l'accueilles pas juste pour ce qu'il me donne, ou pas. Les personnes indépendantes dans leur relation ont conscience de se rencontrer à travers leurs jugements, elles savent que leurs jugements dit davantage de leur propres peurs ou besoins, et elles savent que la personne de l'autre dépasse infiniment tout jugement. Même si notre corps matériel va vers la rigidité du cadavre, que notre esprit aille vers la souplesse du nouveau né, vers la naissance à nous-même et à l'amour.
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