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  • Sens et Vie

Au-delà du jugement, la liberté intérieure


Partie 4: Dépasser les jugements à travers l'écoute.

Nous sommes des êtres de relation qui trouvons notre épanouissement à travers le respect et l'amour. Qu'est-ce qu'aimer? Notre analyse sur le jugement nous mène à répondre indirectement à cette question. En effet, mon intelligence me permet d'atteindre l'autre pour entrer en relation avec lui en apprenant à le connaitre, mais l'autre est au-delà de toute connaissance que j'ai de lui, de tout jugement que je peux me faire sur lui. J'entre dans une réelle unité avec lui quand mon cœur s'ouvre à ce qu'il est, au-delà de tout ce que je peux en saisir, et en l'aimant pour lui-même, dans son mystère et son autonomie propre.

Nous ne parlons pas ici uniquement de l'amour amoureux ou même de l'amitié, mais de la capacité du cœur à rejoindre l'autre en s'ouvrant à une certaine contemplation humble de son être, au-delà de ce que nous pouvons en comprendre. Ainsi l'unité est-elle réelle lorsqu'elle dépasse la fusion, l'indifférence, ou simplement le jugement; enfermer l'autre dans un jugement pouvant être considéré comme une forme d'indifférence ou de relation fusionnelle. Les deux extrêmes se rejoignent.

Plus chacune des personnes est elle-même dans son autonomie et est regardée par l'autre de cette façon, plus la rencontre est réelle. Plus il y a ancrage, plus il y a souplesse. Plus je suis moi, plus je suis capable de m'ouvrir à l'autre tel qu'il est. "Amour bien ordonné commence par soi-même". Si je suis bien enraciné dans ma dignité d'être, je peux ouvrir mes ailes, sortir de moi et aller à la rencontre de l'autre pour lui-même. Car je sais que je ne m'y perds pas. Je m'enrichis au contraire de cette ouverture à l'autre et me trouve. Et j'ai besoin de cet autre pour évoluer et naître à moi-même.

Communion avec l'autre et autonomie par rapport à lui - des racines et des ailes - notre vie n'est-elle pas un va et vient entre ces deux profonds besoins, celui de l'amour et celui de la liberté? L'amour n'est-il pas plénier lorsqu'il est libre et la liberté accomplie dans l'amour? Ces grands sujets philosophiques pourront être abordés dans un article ultérieur. Pour le moment, consacrons-nous au problème concret de la relation à travers la communication, en commençant par la base: l'écoute. Comment être dans l'écoute sans juger?

Entrer en relation se fait la plupart du temps d'abords par la communication, donc par la parole et l'écoute. Or lorsqu'une personne parle, elle énonce la façon dont elle voit ou vit les choses. Elle énonce des jugements, dans le sens le plus général du terme (cf. Partie 1). Et quand je l'écoute, je le fais à travers les filtres qui sont les miens; je juge ce qu'elle me dit, je le conçois, je l'analyse. En avoir conscience permet de rester souple et ouvert pour avancer toujours plus dans la rencontre de l'autre comme autre. Car "entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire et ce que je dis, ce que l'autre veut entendre, ce que l'autre entend, ce qu'il croit comprendre, ce qu'il veut comprendre et ce qu'il comprend, il y a au moins neuf possibilités de ne pas s'entendre".

Autrement dit, s'entendre commence lorsqu'on dépasse nos jugements respectifs pour atteindre ensemble ce qui est, que ce soit les faits dont on parle ou la façon dont on les vit. Nous vous invitons ici à être conscients de la façon dont vous êtes écoutés et de la façon dont vous écoutez, afin de vous exercer à prendre conscience concrètement des jugements qui peuvent obstruer vos relations si vous vous y arrêtez. Dans la partie suivante, nous poursuivrons en décrivant toutes les sortes d'abus de jugement auxquels nous succombons au quotidien par la parole, et la façon dont nous pouvons les dépasser.

S'il y a au moins neuf façons de ne pas s'entendre, répertorions au moins 9 façons de s'écouter, à commencer par la façon de ne pas écouter jusqu'à l'écoute la plus profonde.

Une personne peut me donner l'impression de m'écouter alors que son attention est tout à fait ailleurs. Elle semble indifférente. Souvent dans ce cas-là, ce sont les messages non verbaux qui vont la trahir: le regard hagard ou concentré sur autre chose, les petits "oui" qui ne sont pas présents, habités etc... Il est intéressant de noter que lorsque nous ne sommes ainsi pas écoutés, nous pouvons avoir des émotions désagréables plus ou moins fortes, allant jusqu'au désarroi, ce qui va nous pousser à juger l'autre (cf. lien entre jugement et émotion partie 2).

En fonction de nos blessures de rejet par exemple, nous pouvons partir dans des croyances du genre "elle s'en fiche de moi", alors que la personne est simplement très fatigué ou préoccupée par autre chose. Une fois de plus, juger n'est pas un problème si nous en avons conscience et vérifions son bien fondé. Et la liberté intérieure est encore plus grande si nous sommes à même d'en saisir la cause intérieure.

Les jugements que nous émettons dépendent du lien que nous avons avec la personne et de nos propres blessures. Souvent les deux vont ensemble: plus une personne a de l'importance dans notre vie, plus elle nous "touchera" dans nos blessures et l'on souffrira en sa présence. Plus l'on croit en l'amour inconditionnel d'une personne pour nous, plus on se sent en sécurité pour nous ouvrir et lui offrir notre vulnérabilité et donc plonger dans nos souffrances. C'est pour cela que les enfants sont souvent beaucoup plus difficiles à vivre avec leurs parents qu'avec les autres ou que les conjoints traversent des épreuves relationnelles plus grandes qu'avec les autres; parce qu'ils s'aiment, ou du moins ont-ils beaucoup d'attentes envers l'autre.

Si mon conjoint ne m'écoute pas, je peux dès lors être beaucoup plus blessé que s'il s'agit d'un inconnu dans la rue. Et si je suis dans la dépendance affective, ce qui arrive souvent au début d'une relation, je peux attendre de lui qu'il réponde à mes besoins alors que c'est à moi d'y remédier et de trouver des ressources intérieures. C'est à moi de comprendre d'où vient que tel comportement me blesse et de travailler sur moi même. Ceci étant bien sûr valable lorsque la relation est saine.

Quand le comportement de non écoute est sciemment voulu dans un but d'avoir du pouvoir ou, pire, de se réjouir du mal que cela procure à l'autre, il n'est plus question d'aller dans l'introspection, mais plutôt de poser des limites pour se faire respecter, autrement dit de passer de l'ouverture à l'ancrage, ou de fuir. Il en est de même lorsque l'absence d'écoute est récurant et en toute circonstance. Et puis, il y a écoute et écoute. Je peux écouter les mots et ne pas du tout être à l'écoute du contenu de ce qui est dit, ne pas rejoindre l'autre où il en est, dans ses besoins, ses souffrances, ses désirs, ses attentes, ses demandes. C'est bien de cela qu'il s'agit lorsque nous parlons de non écoute.

Certaines personnes trop blessées dans leur narcissisme s'y enferment justement, s'y cramponnent, comme dans une bulle de laquelle ils ne parviennent plus à sortir par peur, ou panique, de se perdre, tant leur "moi" est fragile. Écouter, leur demande alors déjà énormément d'effort. Ils ne le font jamais trop longtemps et, s'ils restent en communication tout de même, ils peuvent par exemple ramener tout systématiquement à eux-même ou tout interpréter à travers leur subjectivité sans même en avoir conscience puisqu'il ne sortent justement pas de cette subjectivité. On pourrait appeler cela l'écoute égocentrique. Ces personnes-là peuvent même passer leur temps à juger et culpabiliser autrui par réflexe de survie: ne surtout pas être pris en défaut, leur moi faisant déjà trop défaut pour pouvoir vivre.

Dans le quotidien et au-delà des cas pathologiques, voilà à quoi cela peut ressembler: je parle de mon enfant qui souffre en ce moment de difficultés scolaire, et la personne qui m'écoute m’interrompt rapidement et commence sa phrase par "Ah non, moi mon enfant...". Elle va faire en sorte que l'attention soit portée sur elle, ce qui se manifeste par les mots "non" et "moi", donc par une sorte de négation de mon existence propre.

Si par contre elle gère sa peur plutôt en contrôlant, elle va alors aller dans le jugement, ou se positionner comme la personne qui sait, et qui sait mieux que moi. Je ne me sentirai alors pas niée dans mon existence, mais plutôt dans ma position d'adulte autonome et responsable. On peut appeler cela l'écoute du jugeant ou celle de l'omniscient. Ce n'est pas un déni pur et simple de l'autre qui s'installe ici mais un rapport de pouvoir.

Lorsque nous sommes jugeants, nous cherchons à comprendre, à analyser, à saisir, ce qui n'est pas un problème tant que nous savons que nous ne percevons qu'une petite partie de ce que l'autre nous dit et, qui plus est, à travers notre subjectivité. Simplement, nous n'avons pas à tirer des conclusions qui viennent de nous-même, surtout s'il s'agit de jugement négatifs inconditionnels, c'est-à-dire portant sur l'être de la personne, du genre; "Ah oui, je vois, tu es paresseux". C'est là que commence l'abus de jugement; lorsque les portes se referment sur lui sans ouverture possible.

Moins grave que le jugement pur et simple, je peux juste croire que je "sais" mieux que l'autre ce qui est bon pour lui. Mais n'est-ce pas une façon plus douce et subtile de juger? Si la personne qui me parle me confie un problème, je peux être tenté de penser que l'écouter pour la conseiller consiste à vraiment sortir de moi pour la rejoindre pour elle-même, ce qui peut effectivement être le cas. C'est l'écoute du conseillé.

En effet, dans une relation d'adulte à adulte, lorsqu'un conseil est demandé, la personne à qui on le donne peut ensuite en faire ce qu'il veut et peut ne pas se sentir jugé. Mais le glissement de terrain est possible et subtil lorsque le conseil n'est pas offert comme une proposition mais déguise une quelconque volonté d'emprise sur l'autre. Dans l'absolu, toute personne adulte est responsable d'elle-même et capable de trouver ses solutions en puisant dans ses ressources, avec l'aide et l'éclairage d'autrui, mais en définitive avant tout, et après tout, par elle-même. Alors qu'est-ce qu'être vraiment dans l'écoute?

Écouter commence par le non verbal, par la qualité de présence, l'espace donné au silence et à l'accueil: je me mets dans la peau de l'autre en me projetant consciemment au-delà des filtres de ma subjectivité, dans une neutralité bienveillante. C'est l'intention du cœur qui prime ici: je décide de "sortir de moi" et plus loin encore, de regarder la personne écoutée à travers la lumière qui l'habite, de lui souhaiter du bien. Je suis alors dans l'empathie. Cette capacité vient des neurones miroirs qui sont absentes lors de cas pathologiques comme la psychopathies, ou alors chez certains autistes. Cela rend les premiers dangereux, comme au-delà de toute morale et les seconds au contraire d'une innocence antérieure à tout jugement.

Autrement dit, l'empathie me dote d'une grande responsabilité: celle de l'intention et de la conscience morale. La conscience de la façon dont je peux nuire et l'intention de faire du bien, ou pas! C'est au niveau de l'inconscient que ça se complique. Car je peux vouloir faire le bien et faire du mal, lorsque je suis poussé par la peur. C'est pour cela que prendre conscience de mes zones encore engluées dans la peur est source d'une profonde liberté intérieure. Et cela peut se faire concrètement à travers la conscience des jugements que je fais, puisqu'ils trouvent racine dans la peur.

Dépasser la peur se fait par exemple par l'ancrage (cf. partie 3). Je peux alors sortir de ma subjectivité pour rejoindre l'autre dans la sienne à travers l'écoute, sans avoir peur de me perdre, ni même d'être en danger à cause de ce qu'il dit. Il peut me juger, je sais que ses jugements parlent davantage de lui que de ce qu'il juge et je ne me sens pas forcément remis en question par eux. Je les prends pour moi si je le souhaite, si je trouves cela juste et constructif et je laisse à l'autre sa propre subjectivité et ce que ça dit de lui.

Je ne laisse pas ce que l'autre dit avoir une emprise sur moi et je n'ai pas besoin de chercher à avoir une emprise sur ce que dit l'autre. Autrement dit, il n'y a pas de rapport de pouvoir. Nos points de vues sont apposés l'un à l'autre, et non opposés, car l'être est au-delà de la pensée: l'autre est qui il est, au-delà de ce qu'il pense. Même si nous ne nous comprenons pas, nous pouvons nous recevoir dans notre différence. Une autre façon de dire que l'amour est plus puissant que la raison.

Techniquement, entrer dans une communication qui laisser la place à l'autre comme autre, peut être aidé par le fait de répéter ce que l'autre a dit pour être sûr qu'on soit sur la même longueur d'onde, et aussi pour l'aider à prendre davantage conscience de ce qu'il dit ou même de ce qu'il vit. C'est la synchronisation. Ensuite, comme le coach, je suis dans un écoute vraiment active lorsque je pose des questions ouvertes et non fermées.

Les questions fermées ("est-ce que...") laissent entendre que je suppose déjà telle ou telle réponse, tandis que les questions ouvertes (qui, quoi, quand, quel, comment, combien, pourquoi et où) laissent entièrement le libre champ à l'expression de l'autre. Par exemple, si je demande à quelqu'un "est-ce que ça t'as mis en colère?", je peux être en train de projeter ma propre façon de réagir à telle situation exprimée, ou même aller jusqu'à induire et diriger l'échange. Alors que si je demande "et ça t'as fait quoi?", je laisse à l'autre sa liberté.

Ainsi peut-on dire que notre capacité d'écoute est un bon baromètre de notre capacité à dépasser nos jugements. Une véritable écoute va bien au-delà du fait d'ouvrir ses oreilles et entendre les mots de l'autre. Elle suppose une qualité de présence bienveillante qui repose sur une confiance fondamentale en l'amour inconditionnel. L'amour fait feu de tout jugement.

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